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Manuscrit venu de Sainte-Hélène d'une manière inconnue – « Ma vie a été si étonnante »

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Manuscrit venu de Sainte-Hélène d'une manière inconnue – « Ma vie a été si étonnante »

Manuscrit venu de Sainte-Hélène d'une manière inconnue, Horizons de France, 1947

Édition princeps, Londres, 1817.

La page de titre d'une édition publiée la même année que l'originale, avec la même adresse, est suivie d'un « avertissement » en anglais. Cet ouvrage fut tour à tour attribué à Benjamin Constant et à Mme de Staël. Il suscita une immense curiosité en même temps qu'il séduisit par sa présentation d'un « Napoléon libéral ». A ce titre, c'est un des livres-clefs pour la formation de la légende impériale. L'auteur est en fait Jacob-Frédéric Lullin de Chateauvieux (1772-1842), agronome genevois. Selon Barbier, « Napoléon, qui a connu le Manuscrit... vers la fin de 1817, et qui en a été lui-même fort intrigué, a fait quarante-quatre notes pour le réfuter, et de plus il l'a formellement désavoué par son testament. »

Manuscrit venu de Sainte-Hélène d'une manière inconnue – « Ma vie a été si étonnante »

Frontispice in Manuscrit venu de Sainte-Hélène, Édition nationale, Mise au jour et précédée d'une introduction par Édouard Goin, Membre de l'Institut historique, ancien secrétaire du ministère de la guerre, Auteur des Pontons d'Angleterre et de la Vie du maréchal Brune.

© Fondation Napoléon (Paris)

 

Jean-François Lesueur, Marche du Sacre de Napoléon Ier, 1804, Musique Des Anciens Du 18ème R.T. D'Epinal, Chef De Musique : Simon Perrin, Sous-Chef : Georges Eberhard, Tambour major : Daniel Pierre.

 

Ma vie a été si étonnante, que les admirateurs de mon pouvoir ont pensé que mon enfance même avait été extraordinaire : ils se sont trompés. Mes premières années n 'ont rien eu de singulier. Je n'étais qu'un enfant obstiné et curieux. Ma première éducation a été pitoyable, comme tout ce qu'on faisait en Corse. J'ai appris assez facilement le français par les militaires de la garnison avec lesquels j'ai passé mon temps. Je réussissais dans ce que j'entreprenais parce que je le voulais. Mes volontés étaient fortes et mon caractère décidé. Je n'hésitais jamais, ce qui m'a donné de l'avantage sur tout le monde ; la volonté dépend, au reste, de la trempe de l'individu : il n'appartient pas à chacun d'être maître chez lui.

 

Ce n'était pas le talent mais la loyauté qui donnait du crédit dans l'armée ; tout y dépendait de la faveur populaire qu'on obtenait avec des vociférations.

 

Encore faut-il gagner les échelons, la reconnaissance du peuple, vers le pouvoir.

 

Je trouvai des courtisans plus que je n'en avais besoin ; on faisait queue, aussi n'étais-je nullement en peine du chemin que faisait mon autorité ; mais je l'étais beaucoup de la situation matérielle de la Fiance. Nous nous étions laissés battre ; les Autrichiens avaient reconquis l'Italie et détruit mon ouvrage ; nous n'avions plus d'armée pour reprendre l'offensive. Il n'y avait pas un sol dans les caisses et aucun moyen de les remplir. La conscription ne s'exécutait que sous le bon plaisir des maires. Sieyès nous avait fait une constitution paresseuse, bavarde, qui entravait tout ; tout ce qui constitue la force dans un État était anéanti ; il ne subsistait que ce qui fait sa faiblesse.

 

Enfin Marengo vint. Les vaniteux, les prétentieux prennent l'offensive contre l'autorité conquise sur les champs de bataille.

 

Je sentais la faiblesse de ma position, le ridicule de mon Consulat. Il fallait établir quelque chose de solide, pour servir de point d'appui à la Révolution. Je fus nommé consul à vie : c'était une suzeraineté viagère, et insuffisante en elle-même, puisque elle plaçait une date dans l'avenir et que rien ne gâte la confiance comme la prévoyance d'un changement ; mais elle était passable pour le moment où elle fut établie.

Manuscrit venu de Sainte-Hélène d'une manière inconnue – « Ma vie a été si étonnante »

Attentat de la rue Nicaise contre le Premier Consul, le 3 Nivôse, An 9

(cliquer ICI pour une plus haute définition)

 

Chaque jour augmentait ma sécurité, lorsque l'événement du 3 nivôse m'apprit que j'étais sur un volcan.

[…]

J'échappai par miracle.

[…]

On chercha les coupables [...]. Je fus très étonné lorsque la suite des enquêtes vint à prouver que c'était aux royalistes que les gens de la rue Saint-Nicaise avaient l'obligation d'être sautés en l'air.

 

La forme républicaine ne pouvait plus durer, parce qu'on ne fait pas des républiques avec de vieilles monarchies. Ce que voulait la France, c'était sa grandeur ; pour en soutenir l'édifice, il fallait anéantir les factions, consolider l'œuvre de la Révolution et fixer, sans retour, les limites de l'État.

Seul, je promettais à la France de remplir ces conditions, la France voulait que je régnasse sur elle.

Je ne pouvais pas devenir roi, c'était un titre usé ; il portait avec lui des idées ruinées. Mon titre devait être nouveau comme la nature de mon pouvoir. Je n'étais pas l'héritier des Bourbons. Il fallait être beaucoup plus pour s'asseoir sur leur trône, je pris le nom d'Empereur, parce qu'il était plus grand et moins défini.

 

Prisonnier sur un autre hémisphère, je n'ai plus à défendre que la réputation que l'histoire me prépare. Elle dira qu'un homme, pour qui tout un peuple s'est dévoué, ne devait pas être si dépourvu de mérite que ses contemporains le prétendent.

 

Éloge funèbre de Napoléon, prononcé sur sa tombe, le 9 mai 1821, par le maréchal Bertrand.

L'homme le plus extraordinaire, le génie le plus prodigieux qui ait jamais apparu sur la scène du monde, n'est plus...

 

- - -

 

Quand la reine des nations

Descendit de la monarchie,

Prostituée aux factions,

On vit, dans ce chaos fétide,

Naître de l'hydre régicide

Un despote, empereur d'un camp.

Telle souvent la mer qui gronde

Dévore une plaine féconde

Et vomit un sombre volcan.

Victor Hugo, Odes et ballades, 1826 – Buonaparte, mars 1822.

 

Bonaparte n'est pas le régicide de Louis XVI.

Victor Hugo, Correspondance, 1831.

 

- - -

 

Aujourd'hui, 21 Janvier 2014, 221e anniversaire de l'assassinat de Louis XVI.

 

Paris.

10 h 00 : A l'appel de France Royaliste et de l'Alliance Royale, autour de SAR Sixte-Henri de Bourbon-Parme, un hommage sera rendu au Roi Louis XVI à 10 heures – heure du début de l'assassinat – à l'endroit même où celui-ci eut lieu : Place de la Concorde, au pied de la statue de Rouen ; après la lecture du testament du Roi et le dépôt de gerbes, prières menées par Monsieur l'Abbé Guillaume de Tanoüarn. La cérémonie sera suivie d'un déjeuner sur réservation (avant le 14 janvier) : 06.86.83.38.73 – 06.71.02.26.47, ou alliance.royale@voila.fr

 

12 h 00 : Saint-Germain-l'Auxerrois, paroisse des Rois de France, 2, place du Louvre. Messe célébrée à la demande de l'Œillet Blanc, par Dom Philippe Piron, Père Abbé de Sainte Anne de Kergonan. En présence de Mgr le Comte de Paris et des princes de la Maison de France.

 

La parole est aux lecteurs.

 


Paul Nizon, Faux papiers – ma vie comme roman

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Paul Nizon, Faux papiers – ma vie comme roman

Paul Nizon, Faux papiers, Journal 2000-2010 (Urkundenfälschung, Suhrkamp Verlag, 2012), traduit de l'allemand par Matthieu Dumont, postface de Wend Kässens, photographie de couverture : © Peter Schneider/Keystone/Corbis, Actes Sud, 2014

 

Dans ce cinquième tome du journal du grand écrivain suisse vivant à Paris, on trouve de magnifiques portraits d’artistes, des rêveries ou encore des miniatures de villes nous invitant à un départ immédiat. Puisant dans sa vie – rencontres, lectures, projets littéraires du moment –, Paul Nizon a ainsi constitué un fonds de matériaux précieux à partir duquel se crée son œuvre.

Mais ici, la matière première elle-même se révèle d’une grande valeur artistique.

Au-delà des souffrances et des doutes, l’écriture est toujours lumineuse et triomphante. Rassemblées en un volume par décennie, ces pages extraites de son journal se transforment en objet autonome dévoilant les fondements d’une œuvre sublime.

Né à Berne en 1929, Paul Nizon est considéré comme l’un des écrivains contemporains les plus novateurs. Après une thèse sur Van Gogh et des voyages à Rome et Barcelone, il se consacre pleinement à l’écriture et publie Canto (Jacqueline Chambon, 1991). Suivent plusieurs années de pérégrinations et de ruptures. En 1971, il revient à la littérature et poursuit son œuvre, pour l'essentiel publiée en français par Actes Sud.

Ses romans autofictionnels ont été récompensés par de très nombreux prix littéraires, dont, en 2010, le prestigieux Prix national autrichien pour la littérature européenne.

4e de couverture

 

4 janvier 2000, Charenton

 

Peu à peu, les gens (c'est ce qui ressort actuellement de certaines des réactions étonnamment nombreuses, en particulier dans la presse, à l'occasion de la parution de mes œuvres choisies) semblent prendre conscience de la corrélation qui, dans mon cas, unit et enchaîne la vie à l'écriture, au sens où la vie, presque dressée comme un chien, est axée sur l'écriture, et où l'écriture émane entièrement et peut-être presque immédiatement de la vie, de la consignation constante et pressante de la vie, sans laquelle elle ne serait rien, ne pourrait ni sortir au grand jour, ni être autre chose qu'une virtualité pure. Que de nos jours nul autre ne s'adonne ainsi (de façon anachronique ?) à la création littéraire, à la prose, cela est reconnu et évoqué – ce qui l'est moins, en revanche, c'est que ma condition d'être-de-langage en procède. Ma vie d'écriture et mon écriture vitale sont au fond une lutte par et pour le langage, je suis un être de langage jusqu'au bout des ongles. Et au commencement était le Verbe.

 

24 janvier 2000, Paris

 

« Mon cœur »

Juste un petit tour pour explorer les environs ? Pour se sauver. Surtout ne rien déballer, surtout ne pas disperser ce que l'on a apporté, n'y touche pas. Surtout ne rien extraire de tout cet apport qui était fait non seulement de bricoles mais de pusillanimité, et, surtout, de panique et d'angoisse.

Je commençais à comprendre que le piège que représentait à l'époque l'appartement de ma tante rue Simart était la pire des menaces – pas tant à cause de son apparente exiguïté peu engageante, car elle était à la mesure de l'angoisse qui m'accompagnait –, une cellule, une pure claustration. Je nageais alors en plein marasme sans la moindre lueur d'espoir, sans argent, sans travail. Impossible d'imaginer de me remettre au travail puisque l'écriture et a fortiori l'écriture de livres, mon activité coutumière, me semblait non seulement engourdie mais encore inconcevable, totalement insupportable, tous les vaisseaux relatifs à cette activité étant bouchés. Je n'étais qu'impuissance et pleutrerie, une vraie chiffe. De même, tous les ponts avaient été coupés, personne à l'horizon que je puisse appeler ou auprès de qui trouver du secours. J'étais absolument seul. Seul à Paris. Je me trouvais dans un état d'étiolement, m'épanchant intérieurement comme un récipient percé, il s'agissait probablement d'une profonde dépression. Et tout, surtout le futur, prenait dans cet état une teinte menaçante. Parviendrais-je à me ressaisir et à me dégager de ce guêpier ? Ou bien étais-je arrivé au terminus avec pour perspective soit la folie – un cas clinique –, soit la déchéance et la clochardisation – un cas social ? Les deux options semblaient possibles.

C'est dans ce contexte qu'il faut resituer la première promenade fugueuse. Il ne s'agissait pas de simples expéditions de reconnaissance, il s'agissait – par le moyen d'excursions menées dans un périmètre restreint – d'un déchiffrage de la réalité, de mon appartenance à la réalité du monde, il s'agissait par conséquent de la création progressive d'un monde et ainsi de mon monde et ainsi de ma personne – en quelque sorte à partir de rien, creatio ex nihilo.

Et mon ancrage se fit par des mots, après une petite ration d'expérience et de choses vues au-dehors.

Une tâche désespérée. Un geste désespéré. Surmonter l'irréalité et ses horreurs (ou le règne de l'horreur). C'est en ce sens que la fuite est une course après les mots.

C'est l'abattement qui me fait tout voir en noir, c'est le regard (abattu) du découragement et de l'angoisse qui me fait percevoir l'appartement de ma tante comme un affreux cachot au confinement étouffant. L'image de la désolation n'est que le reflet de mon propre état, non la réalité. Je dois changer de regard. Je dois inventer la réalité. Tout est affaire d'imagination. Ou bien est-ce la vie de ma tante rampant hors de toutes les fissures qui m'oppresse ? Tu ne sais rien d'elle, en fait, tu devrais faire sa connaissance. Tout est à portée de main. Recolle ses morceaux. Elle n'est pas la cause de l'oppression, l'oppression vient de ton désintérêt catégorique à son encontre.

 

Une aristocratie de l'esprit en révolte.

 

7 avril 2000, Paris

 

Me rappelle combien l'avènement de la culture pop, y compris les hippies, le Flower Power et le mouvement qui en découla après 68, m'avait non seulement choqué, mais heurté dans mon projet de vie comme une attaque personnelle. Cela remonte à l'année 1967, alors que je me trouvais à Londres, et n'est pas sans rapport avec la façon dont j'envisage ma condition d'artiste.

L'artiste comme franc-tireur et comme phénomène situé aux marges de la société bourgeoise. Cette représentation n'est pas exempte d'un certain aristocratisme, puisque l'artiste tel que je l'envisage ne se conçoit guère sans un solide ancrage intellectuel dans les meilleurs domaines et traditions culturels, ce qui implique un certain esthétisme.

[…]

Dans mon cas, l'idée de faire partie des élus fut dès mon plus jeune âge à la fois un aiguillon et une source d'énergie, mais elle fut aussi à l'origine de mon isolement social et elle compliquait la communication avec les autres.

[…]

C'est là que résidait la révolte du petit garçon : le ne-pas-vouloir-admettre. La source de l'écriture ?

[…]

Salve Maria […]. Ce serait un livre sur l'effroyable irruption de l'illusion – et, avec elle, de la labilité, de la fragilité, de l'équivoque de la réalité.

 

3 mai 2000, Paris

 

Quand je dis que c'est toujours tel un enfant rempli d'attentes émerveillées que je déambule le matin en sortant ou en saluant le jour, ou lorsque je parle d'un régal pour les yeux, j'entends toujours la vision et la collecte via les sentiers du visible comme deux équivalents à l'effervescence intérieure, au devenir créateur ou bien justement au désir d'énonciation. Désir de langage.

[…]

Ma voie est aussi celle de l'appropriation par l'écriture de ma vie comme roman. Celui-ci se doit d'être exemplaire. Je m'écris une vie.

 

4 juin 2000, Paris

 

Je ne cessais de dire que je devais d'une certaine façon pouvoir me considérer comme le seul poète sur terre.

 

27 novembre 2000, Paris

 

L'amour est en définitive toujours un malentendu.

 

6 avril 2001, Paris

 

Un marasme ? Une dépression ? Une thérapie ? L'écriture aurait-elle été une thérapie depuis près de soixante ans ?

 

30 juin 2001, Paris

 

D'où me vient donc une telle haine de tout ce qui touche au collectif ? Même la BOUM d'Igor, avant-hier soir, devant laquelle j'ai bien sûr pris la fuite – quinze gamins venus se trémousser dans la maison, une musique à vous percer les tympans, ainsi qu'on me l'a rapporté, sans parler des allées et venues, des attroupements, des cavalcades, des braillements, etc. –, me remplit de méfiance voire de dégoût, pourquoi donc ?

 

Les rêves, l'écriture, les lectures tissent la vie où se rencontrent les plus grands écrivains, artistes, cinéastes.

 

14 avril 2005, Paris

 

Canetti, ébauche

Il a toujours représenté pour moi le plus grand analyste du genre humain, voilà pourquoi ses essais me sont si chers. Sa vive curiosité envers les hommes était insatiable, il avait l'art de se faufiler jusqu'à eux, de se glisser dans leur peau, d'ailleurs il fut également comédien, rappelons-nous seulement sa manière de se faire passer au téléphone pour la concierge afin de filtrer les interlocuteurs importuns ; il m'avait mis au courant de son procédé pour que je donne directement mon nom le cas échéant. Il m'était d'ailleurs arrivé de tomber sur lui dans le rôle de la concierge, avec cette voix de vieille femme empruntée, mais j'avais immédiatement reconnu Canetti, peut-être parce que j'étais au courant de sa tactique, toujours est-il que j'avais reconnu sa voix. Ce sont ces innombrables conversations qui duraient des heures, des nuits entières, qui me l'ont fait connaître, cette voix. Oui, j'avais eu des rencontres interminables avec lui, vers la fin des années 1960, dans sa maison de Thrulow Road à Hampstead.

[…]

c'était un monarque de la vie, un philanthrope, du moins dans sa conception de la responsabilité, et donc un contempteur des choses viles, mais pas des faibles, cela non, plutôt un contempteur de la bassesse humaine.

 

23 août 2007, Paris

 

Depuis peu, je me suis remis à écouter de la musique, du classique, comme au temps de ma jeunesse mélomane, du piano, des concerts. En ce moment même, Horowitz, très talentueux, merveilleux, des accents angéliques.

 

Frédéric Chopin, Polonaise n° 6, op. 53, Héroïque, 1842 – Vladimir Horowitz, piano, Musikverein, Vienne, 1987

 

Gilberto Gil, Gilbertos Samba – Se você disser que eu desafino

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Gilberto Gil, Gilbertos Samba – Se você disser que eu desafino

Gilberto Gil, Gilbertos Samba, Sony Music, 2014

Gilberto Gil, Gilbertos Samba – Se você disser que eu desafino

Gilberto Gil, 2014

 

Antônio Carlos Jobim & Newton Mendonça, Desafinado, 1959 – Gilberto Gil, in album Gilbertos Samba, 2014

 

Se você disser que eu desafino amor

Saiba que isso em mim provoca imensa dor

Só privilegiados têm ouvido igual ao seu

Eu possuo apenas o que Deus me deu

 

Si tu dis que je chante faux, mon amour,

Sache que cela provoque en moi une immense douleur

Seuls les privilégiés ont une oreille comme la tienne

Je ne possède que ce que Dieu m'a donné

 

* * *

 

Il faut remonter aux enregistrements des années 1960, avant qu'il ne pose les bases du tropicalisme avec Caetano Veloso, pour entendre Gilberto Gil se lover avec tant de fraîcheur dans l'intimité de la bossa-nova. A 72 ans, l'ancien ministre de la Culture (de 2003 à 2008) renoue avec la grande geste brésilienne en revisitant le répertoire de João Gilberto, figure totémique du genre : le choix n'est pas très audacieux, mais la formule voix-guitare, classique et classieuse, lui sied bien. Sans la fondante évanescence de son aîné, le swing plus funky, la voix plus tonique, il met ainsi sa musicalité au service de classiques signés Tom Jobim, Vinicius de Moraes ou encore Caetano Veloso. Ici et là une flûte (Dorival Caymmi sur le délicieux Eu sambo mesmo) et même des papiers de verre (Rodrigo Amarante), frottés sur le cultissime Desafinado, singularisent discrètement le propos.

Anne Berthod, Télérama n° 3374

 

Comment mieux le dire ?

 

Mary Shelley, Frankenstein – un éveil au monde

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Mary Shelley, Frankenstein – un éveil au monde

Frankenstein et autres romans gothiques, édition établie par Alain Morvan avec la collaboration de Marc Porée, Bibliothèque de la Pléiade, Éditions Gallimard, 2014

 

Au commencement :

 

Mary Wollstonecraft Shelley (dans l'édition de 1823), Frankenstein or The Modern Prometheus, Lackington, Hugues, Harding, Mavor & Jones, libraires londoniens, 1818 – publié anonymement.

Le roman fut imprimé à cinq cents exemplaires. Sur la page de titre de cette édition figurait en épigraphe une citation du Paradis perdu de John Milton : « T'ai-je requis, toi mon Créateur, avec mon argile / De me façonner en homme ? T'ai-je sollicité / De m'élever depuis les ténèbres ? »

(Livre X, v. 743-745)

 

Le coup de génie de Frankenstein, c'est de mettre en discours un concept fou – l'assemblage de toutes pièces, hors sexualité, d'un être humain – à la faveur d'une forme narrative aussi simple que géométriquement parfaite. Cette construction soigneusement équilibrée fait ressortir, par contraste, la hideur de cet être. Trois récits sont enchâssés avec rigueur : celui du navigateur Robert Walton, qui commence le livre et le finit, enserrant celui du personnage dont le roman porte le nom ; celui de Victor Frankenstein, donc, que Walton a recueilli à son bord et qui rend compte de ses années de formation, de son invention puis des conséquences tragiques qu'elle entraîne ; celui du monstre créé par Victor et qui donne sa version des faits (du chapitre XI au chapitre XVI, selon le découpage de l'édition de 1831), avant que Victor ne reprenne la parole.

Alain Morvan

 

Selon Maurice Lévy, Le roman gothique anglais (1764-1824), trois critères définissent le genre : l'usage d'une architecture médiévale, la présence de l'Au-Delà et une atmosphère d'angoisse et de mystère.

Les trois éléments sont présents dans Frankenstein.

 

L'oxymore (cette obscure clarté) est une clef de lecture de l’œuvre – souffrance / esprit céleste.

 

Le dérèglement des passions, l'hybris, fait glisser les personnages vers la folie. On observe l’occurrence fréquente du terme « enthousiasme » dans les propos de Walton et dans ceux de Victor lorsqu'ils évoquent leur quête – le pôle Nord magnétique pour l'un, la création d'un être pour l'autre. La créature, à sa façon, souffre elle aussi d'enthousiasme. Les trois personnes sont proches.

 

Chapitre XI

Mary Shelley, Frankenstein – un éveil au monde

H. Colburn et R. Bentley, Londres, 1831

 

« Dans la lueur de cette lumière expirante, je vis s'ouvrir l’œil terne et jaune de la créature : la chose se mit à ahaner, les membres agités d'un mouvement convulsif. […] Je quittai précipitamment la pièce. »

 

« Ce n'est pas sans de considérables difficultés que je me remémore l'époque initiale de mon existence... Il faisait sombre lorsque je m'éveillai. »

 

Il s'agit, pour la créature, d'un éveil au monde. Elle découvre les luminaires, la terre, les arbres, les oiseaux, le feu ! et la méchanceté des humains qui la chassent à coups de pierres. Elle apprend le langage articulé et s'exprime avec élégance. La brute est un hyperactif, porté à l'empathie, et disposant naturellement de valeurs morales.

 

« Je ne mange pas ce que mange l'homme : je ne tue pas l'agneau et le chevreau pour rassasier mon appétit – glands et baies suffisent à me nourrir. Ma compagne sera de même nature, et elle se contentera de la même chère que moi. Nos lits serons faits de feuilles sèches ; le soleil brillera pour nous comme pour l'homme, et il fera mûrir notre nourriture. »

 

Le monstre aspire à la pureté dans un paradis terrestre où tout n'est qu'amour.

Mary Shelley, Frankenstein – un éveil au monde

Aimables enfants, vous passiez ainsi dans l’innocence vos premiers jours en vous exerçant aux bienfaits ! Combien de fois dans ce lieu vos mères, vous serrant dans leurs bras, bénissaient le ciel de la consolation que vous prépariez à leur vieillesse, et de vous voir entrer dans la vie sous de si heureux auspices ! Combien de fois, à l’ombre de ces rochers, ai-je partagé avec elles vos repas champêtres qui n’avaient coûté la vie à aucun animal ! des calebasses pleines de lait, des œufs frais, des gâteaux de riz sur des feuilles de bananier, des corbeilles chargées de patates, de mangues, d’oranges, de grenades, de bananes, de dattes, d’ananas, offraient à la fois les mets les plus sains, les couleurs les plus gaies, et les sucs les plus agréables.

Jacques-Henri Bernardin de Saint-Pierre, Paul et Virginie, 1789, de l'Imprimerie de Monsieur, avec approbation et privilège du Roi.

 

Mary Shelley connaissait une riche bibliothèque. La virginité du monde et l'innocence des créatures est bien dans l'esprit gothique.

> Pauvre Charlot ! Malheureuse Elena !

 

Mary Shelley est en révolte dans un monde où l'intérêt et la vanité ruinent l'amour : le monde de Frankenstein.

 

Emma Bovary (Gustave Flaubert, Madame Bovary, dont nous reparlerons prochainement) lit le roman de Bernardin de Saint-Pierre au couvent. Et vous saurez tout de Madame Homais.

 

Le créateur se meurt dans la glace auprès de Walton.

Sortez vos mouchoirs.

La créature s'en va mourir « vers le point le plus au nord, là où se termine notre globe. »

 

James Whale, Frankenstein, 1931

 

Gianni Celati, Le Avventure di Guizzardi – non me la fanno più

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Gianni Celati, Le Avventure di Guizzardi – non me la fanno più

Gianni Celati, Le Avventure di Guizzardi, Storia d'un senza famiglia, Feltrinelli, 1989

Gianni Celati, Le Avventure di Guizzardi – non me la fanno più

Gianni Celati, Les Aventures de Guizzardi, traduit de l'italien par François Dupuigrenet Desroussilles, Salvy, 1991

Gianni Celati, Le Avventure di Guizzardi – non me la fanno più

Gianni Celati, né à Sondrio en 1937, est découvert par Italo Calvino qui fait publier son premier livre, Comiche, en 1971.

Les Aventures de Guizzardi forment le premier volume d'une trilogie intitulée Parlements burlesques.

(rabat de 4e de couverture de l'édition Salvy)

 

Arnold Schönberg, Pierrot lunaire, Op. 21, I, Mondestrunken, 1912 – Ensemble Musique Oblique, Marianne Pousseur, soprano, dir. Philippe Herreweghe, Harmonia Mundi, 1992

 

In breve

 

Un personaggio inventato dalla fantasia di Celati, un senza famiglia a metà tra l'attore Harry Langdon e un suo parente un po' matto.L'autore narra inizialmente le vicende di Guizzardi agli amici, pian piano i suoi racconti diventano libro.

 

Il libro

 

A quei tempi andavo al cinema tutti i giorni, e amavo molto i vecchi film comici. Volevo scrivere qualcosa ispirato a quei film, e allora ho cominciato col personaggio di Guizzardi, che per me somigliava all'attore comico Harry Langdon, ma parlava come un mio parente un po' matto. E ogni settimana recitavo a un gruppo di amici la continuazione delle avventure di Guizzardi, come un teatrino a puntate. Volevo scrivere una trilogia, con un Inferno, un Purgatorio e un Paradiso. Guizzardi era l'eroe di un inferno da ridere ma anche da piangere : l'inferno della meschinità, diffidenza e avarizia inculcate in noi dalla scuola e dalla famiglia. Nel mio assolutismo giovanile trovavo queste miserie così asfissianti, che la solitudine e la mattolica di Guizzardi erano per me un sollievo. Una cosa che detestavo particolarmente erano le lamentele sulla vita dei padri di famiglia. Pensavo che in questa trilogia bisognava passare attraverso l'inferno e il purgatorio, per smetterla una buona volta con tutte le lamentele sulla vita. E poi che bisognava scrivere storie cadendo in uno stato di dormiveglia, per dimenticarsi tutto e trovare così la strada verso una 'vita nova' – come avverrà nel terzo libro, Lunario del paradiso (almeno secondo le mie idee di allora). Gianni Celati

 

Les Aventures de Guizzardi

 

En ces temps-là, j'allais au cinéma tous les jours et j'aimais beaucoup les vieux films comiques. Je voulais écrire quelque chose inspiré de ces films, alors j'ai commencé par le personnage de Guizzardi, qui pour moi, ressemblait à l'acteur comique Harry Langdon et parlait comme un de mes parents un peu fou.

Chaque semaine, je contais à un groupe d'amis la suite des aventures de Guizzardi.

Gianni Celati

 

Premières lignes.

 

C’era un tempo in cui ammiravo la signorina Frizzi instancabilmente come chi abbia riconosciuto i meriti di una persona e non intende poi pentirsene mai.

 

C'était le temps où j'admirais mademoiselle Frizzi ,inlassablement comme qui a reconnu les mérites d'une personne et entend bien ne jamais s'en repentir.

(traduit de l'italien par Mireille Le Fustec que nous remercions ici de nous avoir offert ce beau roman et son almanach, Lunario del paradiso)

 

Publiées pour la première fois en 1972, et revues en 1989, Les Aventures de Guizzardi ont imposé Gianni Celati comme l'un des tout premiers écrivains italiens d'aujourd'hui.

Guizzardi, héros et narrateur de ce conte, est un enfant mystérieux toujours vêtu de blanc immaculé, un Pierrot lunaire. Se croyant atteint d'une terrible maladie de la parole qui empêche ses semblables de le comprendre tout à fait, il traverse successivement les cercles d'une sorte d'Enfer dantesque et drôlatique à la recherche d'une improbable Béatrice, la chère, la très-aimée mademoiselle Frizzi qui lui donnait des leçons de langues étrangères dans le jardin public et à qui il apportait en tremblant les plus beaux bouquets du monde.

(rabat de couverture de l'édition Salvy)

 

Un roman de formation dans la tradition picaresque, un récit truculent en langue populaire.

 

Piccioli et moi étions de si grands amis que nous ne nous quittions pas un instant […]. Quand on se baladait, c'était souvent pour aller au jardin public, s'il faisait beau. […] Pendant ces escapades, j'étais toujours secoué de rires à m'en faire péter la sous-ventrière quand Piccioli, ayant examiné une passante des pieds à la tête, me demandait rituellement : « Tu sais où je vais le lui coller, mon engin ? » Et moi je disais : « Où ça ? » Il répondait : « Vlan dans les lolos ! » Voire : « Pan dans le cul ! »

 

Le pauvre Danci (Guizzardi) se fait prendre par dame Lapine, « une vraie salope », selon Piccioli. La patronne est à l'aise, elle tient son jeune amant en laisse, la maison serait confortable sans les voisins qui harcèlent le malheureux. Il s'enfuit, il se noie, une lavandière le repêche, il est presque violé par un paysan. Bondissant et valsant, il se retrouve dans un cercueil...

 

Un pas chasse l'autre...

 

L'aventurier mène sa barque vent debout, en tirant des bords.

 

« Me l'hanno fatta me l'hanno fatta ! … Però non me la fanno più ! »

 

A suivre, avec Lunario.

 

Gustave Flaubert, Madame Bovary – portes, fenêtres, volets

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Gustave Flaubert, Madame Bovary – portes, fenêtres, volets

Gustave Flaubert, Madame Bovary, Michel Lévy Frères, 1857

Gustave Flaubert, Madame Bovary – portes, fenêtres, volets

Par l'effet seul de ses habitudes amoureuses, madame Bovary changea d'allure. Ses regards devinrent plus hardis, ses discours plus libres ; elle eut même l'inconvenance de se promener avec M. Rodolphe, une cigarette à la bouche, comme pour narguer le monde ; enfin, ceux qui doutaient encore ne doutèrent plus quand on la vit, un jour, descendre de l'Hirondelle, la taille serrée dans un gilet, à la façon d'un homme ; et madame Bovary mère, qui, après une épouvantable scène avec son mari, était venue se réfugier chez son fils, ne fut pas la bourgeoise la moins scandalisée.

Première partie, Chapitre 14, Illustration de A. Richemont, gravée à l'eau-forte par C. Chessa, Paris, F. Ferroud, 1905.

 

Gaetano Donizetti, Lucie de Lammermoor, 1835, scène de la folie, L'Autel rayonnesoprano : Mlle Yvonne Brothier, de L'Opéra Comique ; orchestre, dir. G.Diot, flûte : Marcel Moyse – Gramophone, Mat. CT-4029-1, 7 juin 1928

 

Emma, de même, aurait voulu, fuyant la vie, s'envoler dans une étreinte.

Deuxième partie, Chapitre 15.

 

C'était comme l'initiation au monde, l'accès des plaisirs défendus ; et, en entrant, il posait la main sur le bouton de la porte avec une joie presque sensuelle. Alors, beaucoup de choses comprimées en lui, se dilatèrent ; il apprit par cœur des couplets qu'il chantait aux bienvenues, s'enthousiasma pour Béranger, sut faire du punch et connut enfin l'amour.

 

Entre la fenêtre et le foyer, Emma cousait ; elle n'avait point de fichu, on voyait sur ses épaules nues de petites gouttes de sueur.

 

Ils étaient à l'hôtel de Boulogne, sur le port. Et ils vivaient là, volets fermés, portes closes, avec des fleurs par terre et des sirops à la glace, qu'on leur apportait dès le matin.

 

Elle se tenait en face, appuyée contre la cloison de la chaloupe, où la lune entrait par un des volets ouverts.

 

Madame Bovary, c'est une histoire de portes, fermées, ouvertes, de fenêtres, entrouvertes ou fermées, de volets où l'on peut lancer des cailloux pour se faire connaître. On en trouvera toutes les occurrences chez Madame Bovary.

 

Sylvère Monod, Madame Homais – « Qu'est-ce que Dieu ? »

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Sylvère Monod, Madame Homais – « Qu'est-ce que Dieu ? »

Sylvère Monod, Madame Homais, Pierre Belfond, 1987

 

Dernière phrase de Madame Bovary : Homais « vient de recevoir la croix d'honneur ».

Premier chapitre de Madame Homais : Homais prépare « L'apothéose d'un apothicaire », c'est-à-dire le compte rendu dithyrambique de la cérémonie qui aura lieu le lendemain...

4e de couverture

 

On apprend ainsi tout ce que Flaubert ne nous a pas dit sur Yonville, qui n'était alors que le village de Ry, sur la femme du pharmacien qui s'appelait encore Marie Hommet, sur Delphine Bivarot qui allait devenir Emma Bovary et sur le bon Charles qui ne fut pas le seul mari trompé de la commune.

 

Avec Madame Homais, Sylvère Monod nous livre ce qui fut, en fait, la source de Madame Bovary.

Voici comment Madame Homais a inspiré Flaubert !

4e de couverture

Sylvère Monod, Madame Homais – « Qu'est-ce que Dieu ? »

Sylvère Monod est né le 9 octobre 1921 à Cannes. Il a longtemps enseigné la littérature anglaise à l'Université de Caen, puis à la Sorbonne. Traducteur, critique et historien de la littérature, il donne, avec Madame Homais, son premier roman.

4e de couverture

 

Sylvère Monod est le fils de Samuel William Monod, dit Maximilien Vox, grande figure de la typographie au XXe siècle, le frère de l'universitaire Richard Monod, de l'auteur Flavien Monod, du graphiste Blaise Monod, de Martin Monod, et le neveu du savant, naturaliste et explorateur, Théodore Monod.

 

« Au lieu de faire une œuvre, il est peut-être plus sage d'en découvrir de nouvelles sous les anciennes. »

Gustave Flaubert, lettre du 30 janvier 1847 à Louise Colet

 

« On peut […], par exemple, récrire Madame Bovary en quittant le point de vue d'Emma. »

Gérard Genette, Palimpsestes

 

I

Enfin ! Mais pourquoi ?

« Regarde, mon amie, regarde ! N'est-ce pas bien tourné ? Et ce titre ? Crois-tu que je puisse aller jusque là ? »

Le titre de l'article destiné au Journal normand et qu'il tendait à sa femme avec un sourire épanoui (plus souvent exhibé au bénéfice de clients importants ou de personnalités en vue qu'offert à la compagne de ses jours) s'étalait en travers de la page manuscrite, calligraphié avec amour : L'Apothéose d'un apothicaire.

[…]

Tu peux me faire confiance, n'est-ce pas ? Il s'agit, bien entendu, du compte rendu de la cérémonie de remise de ma croix...

[…]

Tu as d'ailleurs eu l'amabilité d'y mettre la main. Je ne parle pas des taches de graisse sur un feuillet que je t'avais apporté dans la cuisine, saisi par mon enthousiasme d'auteur inspiré devant la beauté d'une de mes phrases, alors que tu lardais notre rôti.

[…]

Voilà qui met en appétit. Lisons donc ton ouvrage. Donne-moi ce fameux compte rendu.

 

M. et Mme Leblanc, le commis principal de la perception de Forges-le-Eaux et son épouse ont une fille : ils la prénomment Marie-Delphine-Juliette.

Bons chrétiens aimant le blanc virginal des fleurs blanches, des cierges, des robes blanches des enfants aux messes des premières communions, ils placent tout naturellement leur fille chez les Ursulines dès ses sept ans, pour son instruction : « Qu'est-ce que Dieu ? »

 

Deux ans plus tard, Mme Leblanc se retrouve écrasée sous un échafaudage aux poutres mal assujetties.

.

La toujours candide orpheline s'interroge, sa foi chancelle, elle rencontre Hugues et connaît son premier baiser. Hélas ! Hugues est un jeune homme de peu de foi, il entre au Grand Séminaire, quel gaspillage !

 

M. Leblanc donne un dîner. Hommet est invité. Il a tout pour plaire à Marie : il est incroyant, et pour Marie, c'est l'essentiel. Pour lui, la dot est satisfaisante.

Au début de mars 1827, Jules Leblanc mourut paisiblement dans son sommeil […]. Le mariage eut lieu quelques semaies plus tard, le 14 mai 1827 ; il n'y aut qu'une brève cérémonie civile et laïque...

 

Mme Auguste Hommet, née Marie Leblanc, est déçue. Il ne lui reste qu'à attendre la mort de son époux âgé de vingt et un ans de plus qu'elle, dans la confiance consolante des statistiques.

Un soir où il se sentait las et un peu abattu après l'exercice rituel, l'apothicaire lui avait décoché une formule latine : « Que veux-tu, ma bonne, Hommet animal post coitum triste ! »

 

Et Delphine Bivarot ? demandez-vous.

Elle est infidèle, elle prend une poudre blanche, elle meurt.

 

M. Auguste Hommet expira au milieu de la nuit du 7 au 8 mai 1857.

Ses derniers mots furent à « Fol... bert... »

 

C'est délicieux !

 

Pour Yueyin, c’est le bonheur tout simplement. Magistral !

 

Et Madame Bovary ? Elle vient d'entrouvrir son volet.

 

Branford Marsalis, In my solitude

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Branford Marsalis, In my solitude

Branford Marsalis, In my solitude, Live at Grace Cathedral, 2012, Okeh/Sony Music, 2014

Branford Marsalis, In my solitude

Branford, l'aîné de la famille est le plus sage, mais il ne craint pas de se livrer ainsi dans la Grace Cathedral de San Francisco, où Duke Ellington créa l'un de ses Sacred Concerts.

Après les années de conservatoire au Berklee College of Music et les improvisations en tous les sens, Branford Marsalis improvise au soprano sur une ligne de Steve Lacy, puis se lance dans Stardust, la ballade de Hoagy Carmichael, tout en velours, et s'approprie la Sonate C.P.E. Bach. On l'applaudit !

 

Carl Philipp Emanuel Bach, Sonate en la mineur, pour flûte seule, Wq 132 : I, Poco Adagio – Xue Su, flûte, Robert J. Werner Recital Hall, 2014

 

Une princesse.

 


Dennis Lehane, Un pays à l'aube – Faudrait tous les brûler

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Dennis Lehane, Un pays à l'aube – Faudrait tous les brûler

Dennis Lehane, Un pays à l'aube (The Given Day, Dennis Lehane, 2008), traduit de l'anglais (États-Unis) par Isabelle Maillet, Payot & Rivages, 2009 – Rivages/ Noir, 2010 (855 pages)

Dennis Lehane, Un pays à l'aube – Faudrait tous les brûler

Dennis Lehane est un écrivain américain, d'origine irlandaise, né le 4 août 1965 dans le quartier de Dorchester à Boston, source d'inspiration de ses romans.

 

L’Amérique se remet difficilement de la Première Guerre mondiale. De retour d'Europe, les soldats entendent retrouver leurs emplois, souvent occupés par des Noirs en leur absence. Mais l'économie est ébranlée et la vie devient de plus en plus difficile pour les classes populaires. Sur ce terreau fleurissent les luttes syndicales et prospèrent les groupes anarchistes et bolcheviques, ainsi que les premiers mouvements de la défense de la cause noire.

En 1918, Luther Laurence, jeune ouvrier noir de l'Ohio, est amené par un étonnant concours de circonstances à disputer une partie de base-ball face à Babe Ruth, étoile montante de ce sport. Une expérience amère qu'il n'oubliera jamais.

Au même moment, l'agent Danny Coughlin, fils aîné d'un légendaire capitaine irlandais de la police de Boston, est chargé d'une mission spéciale par son parrain, le retors lieutenant McKenna : infiltrer les milieux syndicaux et anarchistes.

A priori, Luther et Danny n'ont rien en commun. Le destin va pourtant les réunir à Boston en 1919, l'année de tous les dangers.

"Une fresque flamboyante sur Boston." (Paris-Match)

"Magistral autant qu'inclassable." (Le Figaro Magazine)

4e de couverture

 

« Quand Jésus va revenir, qu'elle disait, Il arrivera de la montagne en train. »

Josh Ritter, Wings

 

when Jesus comes a'calling she said he's coming round the mountain on a train

Dennis Lehane, Un pays à l'aube – Faudrait tous les brûler

Harry Von Tilzer, George Whiting, Bert Kalmar, I'm a twelve o'clock fellow in a nine o'clock town – Byron G. Harlan, dir. : Josef Pasternack, enregistré à Camden, New Jersey, Victor, 12 juin 1917

 

Taraf de Haïdouks, Of Lovers, Gamblers & Parachute Skirts

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Taraf de Haïdouks, Of Lovers, Gamblers & Parachute Skirts

Taraf de Haïdouks, Of Lovers, Gamblers & Parachute Skirts, Crammed Discs, 2015

Taraf de Haïdouks, Of Lovers, Gamblers & Parachute Skirts

Le Taraf de Haïdouks, groupe rom emblématique de la musique roumaine depuis 25 ans, se compose actuellement de Gheorghe Falcaru (flûte), Anghel « caliu » Gheorghe (violon), Robert Gheorghe (violon), Constantin « costica » Lautaru (violon et voix), Marin « marius » Manole (accordéon), Marin P. Manole (accordéon et voix), Filip Simeonov (clarinette), Paul Pasalan Giuclea (violon et voix), Ion « ionica » Tanase (cymbalum).

 

Taraf de Haïdouks, Moldavian Shepherds' Dance, Of Lovers, Gamblers & Parachute Skirts, 2015

 

Après la disparition de ses membres fondateurs, la communauté continue de cultiver la diversité de son répertoire autour des musiques traditionnelles de l’Europe de l’Est : ballades roumaines, vieilles chansons d’amour tsiganes, musiques de danses d’antan.

 

Dansons avec les Roms !

 

Patrick Modiano, Pour que tu ne te perdes pas dans le quartier – une douce amnésie

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Patrick Modiano, Pour que tu ne te perdes pas dans le quartier – une douce amnésie

Patrick Modiano, Pour que tu ne te perdes pas dans le quartier, Collection Blanche, Gallimard, 2014

Patrick Modiano, Pour que tu ne te perdes pas dans le quartier – une douce amnésie

Patrick Modiano, Stockholm, 6 décembre 2014

 

En exergue.

 

Je ne puis donner la réalité des faits, je n'en puis présenter que l'ombre.

Stendhal

 

Presque rien. [...] une buée qui se dissipait sous le soleil.

[…]

Dans cette solitude, il ne s'était jamais senti aussi léger, avec de curieux moments d'exaltation le matin ou le soir, comme si tout était encore possible et que, selon le titre du vieux film, l'aventure était au coin de la rue...

 

Si on lui avait demandé aujourd'hui quel écrivain il aurait rêvé d'être, il aurait répondu sans hésiter : un Buffon des arbres et des fleurs.

Patrick Modiano, Pour que tu ne te perdes pas dans le quartier – une douce amnésie

De Sève, dessin, Louis Le Grand, graveur, Le chat sauvage, in Buffon, Histoire naturelle etc.

 

Une écriture limpide, rare, timide peut-être et lentement travaillée.

 

Une piqûre d’insecte, d'abord très légère, et elle vous cause une douleur de plus en plus vive, et bientôt une sensation de déchirure.

 

Le récit est écrit du point de vue de Daragane, le narrateur, de sa mémoire – défaillante ?

La moindre chose est une énigme, un soupçon.

 

Le roman commence par des sonneries de téléphone. Le personnage principal – Jean Daragane –, après une longue hésitation, finit par répondre. Un inconnu lui dit qu’il a entre ses mains un carnet d’adresses que Daragane avait perdu. Daragane lui trouve une insistance suspecte et même un ton de maître-chanteur. La voix de cet inconnu va lui remettre en mémoire un épisode de son enfance qu’il croyait avoir oublié et qui aura été déterminant dans sa vie. D’une manière générale, la perte avive la mémoire à cause du manque ou du sentiment d’absence qu’elle provoque. Bien sûr, la perte d’un être que vous aimiez. Mais quelquefois la perte d’un objet anodin qui vous était familier dans le passé : soldat de plomb, porte-bonheur, lettre que vous aviez reçue, vieux carnet d’adresses... Cette perte et cette absence vous ouvrent une brèche dans le temps.

Entretien avec Patrick Modiano à l'occasion de la parution de Pour que tu ne te perdes pas dans le quartier.

© Gallimard 2014

 

Presque onze heures du soir. Quand il se trouvait seul chez lui, à cette heure-là, il ressentait souvent ce qu'on appelle un « passage à vide ». Alors, il allait dans un café des environs, ouvert très tard, la nuit. La lumière vive, le brouhaha, les allées et venues, les conversations auxquelles il avait l'illusion de participer, tout cela lui faisait surmonter, au bout d'un moment, son passage à vide. Mais depuis quelque temps il n'avait plus besoin de cet expédient. Il lui suffisait de regarder par la fenêtre de son bureau l'arbre planté dans la cour de l'immeuble voisin et qui conservait son feuillage beaucoup plus tard que les autres, jusqu'en novembre. On lui avait dit que c'était un charme, ou un tremble, il ne savait plus.

 

Au téléphone, Gilles Ottolini, une voix menaçante : il recherche un certain Torstel. Chantal Grippay, liée à Ottolini, sous contrainte, est fragile et souffre de son état. Il y a un dossier Torstel : il s'agissait de notes très brèves mises bout à bout dans le plus grand désordre concernant l'assassinat d'une certaine Colette Laurent.

 

Un fait-divers. Le nom de Torstel apparaît dans le carnet de Daragane, et dans un de ses romans, Le Noir de l'été. Le fait-divers date de 1951. Le dossier est confus, on y trouve des éléments de 1952, peut-être d'une autre enquête.

Ottolini ne cherche-t-il pas, en fait, Daragane ?

 

Gilles Ottolini se dit à l'Agence Sweerts, Paris. Un employé fantôme d'une agence imaginaire. Tout est faux. Ottolini est inconnu au 8, square du Graisivaudan, où Daragane avait son logement d'étudiant.

Patrick Modiano, Pour que tu ne te perdes pas dans le quartier – une douce amnésie

Et Annie Astrand... cela fait si longtemps... se plonger dans ce passé lointain. A quoi bon ?

Patrick Modiano, Pour que tu ne te perdes pas dans le quartier – une douce amnésie

15, rue de L'Ermitage, à Saint-Leu-la-Forêt, Daragane a vécu auprès d'Annie. Dans son enfance. Ils ont dû fuir, vers l'Italie.

Patrick Modiano, Pour que tu ne te perdes pas dans le quartier – une douce amnésie

Annie s'appelle maintenant Agnès Vincent, 18, rue Alfred-Dehodencq.

 

« Entre, mon petit Jean... »

Une voix timide, mais un peu rauque, la même que celle d'il y avait quinze ans. »

 

Daragane avait retrouvé Annie Astrand quinze ans après son séjour à Saint-Leu-la-Forêt alors qu'il était enfant. Depuis, il s'était écoulé plus de quarante ans.

Elle s'était mariée quelques années auparavant avec Roger Vincent. Maintenant, Daragane avait vingt-cinq ans et elle, trente-six peut-être.

 

Maintenant... oui, le temps est heurté dans le récit. Annie et Jean se sont connus, une nuit, une douce amnésie.

 

Il était en présence d'un palimpseste dont toutes les écritures successives se mêlaient en surimpression et s'agitaient comme des bacilles vus au microscope.

 

« – Et l'enfant? demanda Daragane. Vous avez eu des nouvelles de l'enfant?

Aucune. Je me suis souvent demandé ce qu'il était devenu... Quel drôle de départ dans la vie...

Ils l'avaient certainement inscrit à une école...

Oui. À l'école de la Forêt, rue de Beuvron. Je me souviens avoir écrit un mot pour justifier son absence à cause d'une grippe.

Et à l'école de la Forêt, on pourrait peut-être trouver une trace de son passage...

Non, malheureusement. Ils ont détruit l'école de la Forêt il y a deux ans. C'était une toute petite école, vous savez... »

4e de couverture

 

Au début, ce n'est presque rien […], et il vous faut un peu de temps encore pour vous rendre compte qu'il ne reste plus que vous dans la maison.

 

Pourquoi faudrait-il fuir la France en 1951 ou 1952 ? Il ne peut s'agir que d'un fait-divers, ou d'un écho au long hiver de 1940 à 1945 ?

 

Trois LLL, comme on dit dans certaine revue...

 

A Saint-Leu-la-Forêt, on écoutait Wanda Landowska.

Patrick Modiano, Pour que tu ne te perdes pas dans le quartier – une douce amnésie

Johann Sebastian Bach, Variations Goldberg, clavecin : Scott Ross, 1985

 

Tim Willocks, Les Douze enfants de Paris – le pot de chambre de Satan

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Tim Willocks, Les Douze enfants de Paris – le pot de chambre de Satan

Tim Willocks, Les Douze enfants de Paris, (The Twelve Children of Paris, Jonathan Cape, 2013), traduit de l'anglais par Benjamin Legrand, Sonatine, 2014

(Le Grand Livre du Mois, pour notre édition)

Tim Willocks, Les Douze enfants de Paris – le pot de chambre de Satan

23 août 1572. De retour d’Afrique du Nord, Mattias Tannhauser, chevalier de Malte, arrive à Paris. Il doit y retrouver sa femme, la comtesse Carla de La Penautier, qui, enceinte, est venue assister au mariage de la sœur du roi avec Henri de Navarre. A son arrivée, Mattias trouve un Paris en proie au fanatisme, à la violence et à la paranoïa. La tentative d’assassinat contre l’amiral de Coligny, chef des réformistes, a exacerbé les tensions entre catholiques et protestants. Introduit au Louvre par le cardinal de Retz, Mattias se retrouve bientôt au cœur des intrigues de la Cour et comprend très vite que le sang va couler dans les rues de Paris.

Dans une capitale déchaînée, où toutes les haines se cristallisent, Carla est impliquée au même moment dans une terrible conspiration. Plongé dans un océan d’intrigues et de violences, Mattias n’aura que quelques heures pour tenter de la retrouver et la sauver d’un funeste destin.

Tim Willocks est sans aucun doute l’un des plus grands conteurs de notre temps. Avec un souffle épique qui évoque Alexandre Dumas, il nous donne ici un roman inoubliable qui, se déroulant sur vingt-quatre heures, capture toute la folie d’un des plus terribles épisodes de l’histoire de France.

Tim Willocks est né en 1957. Grand maître d’arts martiaux, il est aussi chirurgien, psychiatre, producteur et écrivain. Scénariste, il a travaillé avec Steven Spielberg et Michael Mann. Auteur de six romans, parmi lesquels La Religion (Sonatine Éditions, 2009) et Green River (Sonatine Éditions, 2010), il vit en Irlande.

4e de couverture

 

Le livre est construit sur les voix alternées de Carla et Mattias Tannhauser.

Une des choses les plus importantes qui est ressortie du livre au moment où j'étais en train de l'écrire est ce contraste entre le masculin et le féminin, leurs principes de vie, ou plutôt leur attitude face à la vie... Car la violence des massacres est une violence masculine et politique. Or, il y a beaucoup de personnages féminins dans le livre, des femmes, des jeunes filles. Le contraste dans leur façon de gérer la catastrophe est devenu la dialectique principale de mon histoire.

 

Incipit

 

Maintenant il chevauchait à travers un pays éventré par la guerre et toujours saignant de ses contrecoups, où les soldats sans solde de monarques coupables exerçaient encore leur métier, où bienveillance était folie, et cruauté force, où personne n'osait affirmer être le gardien de son propre frère.

Il passa des arbres aux pendus, où des corbeaux aux pattes rougies étaient perchés, noirs comme leur charogne, où de petits groupes d'enfants en guenilles lui rendaient son regard en silence. Il passa les carcasses sans toit d'églises incendiées, où des tessons de vitraux étincelaient tels des trésors abandonnés dans les débris du choeur. Il passa des campements habités par des squelettes rongés, où les yeux jaunes des loups luisaient dans les ténèbres. Parfois une meule de foin en flammes éclairait une colline lointaine. Au clair de lune, les vignobles en cendres étaient blancs comme des tombeaux.

En très peu de jours, il avait couvert plus de lieues qu'il ne l'aurait cru possible. Et maintenant il y était enfin, et il y était arrivé : au terme du voyage. Les murailles tremblotaient dans le lointain, gauchies par la chaleur d'août, et au-dessus d'elles luisait un plastron de brume ocre, comme si ces murs d'enceinte n'avaient pas été de pierre, mais plutôt la lèvre d'un vaste puits ouvrant vers les royaumes infernaux.

Telle fut sa première impression de la ville la plus catholique de toute la chrétienté.

Cette vision lui apportait un vague réconfort. Les pressentiments qui l'avaient habité n'avaient pas diminué. Il avait dormi près des routes et il était remonté en selle dans la fraîcheur précédant l'aube et, chaque matin, sa destinée s'était dressée devant lui. Il la sentait qui l'attendait, tapie derrière ces murailles plutoniennes. Dans la ville de Paris.

Mattias Tannhauser pressa le pas en direction de la porte Saint-Jacques.

L'enceinte de trente pieds de haut était parsemée de tours de guet tout aussi hautes. La porte était encore plus massive et, comme les murs, souillée par le temps et les fientes d'oiseaux. Comme il traversait le pont-levis, ses yeux s'embuèrent des vapeurs putrides émanant des douves emplies d'ordures. A travers la buée, comme dans un rêve, deux familles se pressaient pour sortir entre les énormes portes de bois.

Elles étaient entièrement vêtues de noir et Tannhauser se dit que ce devaient être des huguenots. Ou des calvinistes, luthériens, protestants, ou autres réformateurs. A la question de comment les nommer il n'avait jamais trouvé de réponse servant tous les besoins. Leur nouvelle conception de la vie avec Dieu faisait à peine ses premiers pas que des factions internes étaient déjà prêtes à se sauter à la gorge. Cela ne surprenait pas du tout Tannhauser, qui avait tué pour Dieu au nom de plus d'une croyance.

Ces huguenots, femmes et enfants compris, ployaient sous divers bagages et balluchons. Tannhauser essayait d'imaginer tout ce qu'ils avaient abandonné d'autre. Les hommes, qui avaient l'air de deux frères, échangèrent un regard de soulagement. Un garçon mince releva la tête pour regarder Tannhauser. Tannhauser esquissa un sourire. Le garçon cacha son visage dans les robes de sa mère, révélant une marque de naissance grosse comme une fraise sous l'angle de sa mâchoire. La mère vit qu'il l'avait remarquée et, de sa main, elle couvrit la marque.

 

« les royaumes infernaux... ces murailles plutoniennes » : nous sommes dans l'Enfer de Dante, comme le confirment d'autres références tout au long du récit.

Tim Willocks, Les Douze enfants de Paris – le pot de chambre de Satan

Paris 1572

Darren Bennett, carte adaptée de « Map of Paris, 1572 » de Braun et Hogenberg, Bibliothèque nationale d'Israël

(cliquer ICI pour mieux lire l'image : la carte légendée pour le roman permet de suivre les personnages dans leurs aventures)

Tim Willocks, Les Douze enfants de Paris – le pot de chambre de Satan

Braun et Hogenberg, Map of Paris, 1572, Bibliothèque nationale d'Israël

(cliquer ICI pour mieux lire l'image)

 

Diego Ortiz, Recercada primera sobre el passamezzo antico, Jordi Savall : Viola da gamba, Arianna Savall : Harp, Ferran Savall : Theorbo, Colegiata de Sant Vicenç de Cardona, vers 2001-2013

 

Carla est une virtuose de la viola da gamba, elle a été invitée au mariage royal pour jouer lors des réjouissances.

 

A Paris en 1572, ça chie, ça fornique, ça détrousse, ça s’entre-tue, ça sodomise, dans tous les coins. Les fillettes aguichent le chaland sous l’œil de leur maquereau. Les prêtres troussent les gueuses au fond des cours. L'atmosphère est lourde d'une puanteur venant autant des déchets et déjections domestiques que des coupables activités de la rue. On respire un peu mieux dans les cabarets enfumés dont l'air chargé de vapeurs vinassières masque les relents du dehors.

[…] et ceux parmi les damnés, dont la tâche éternelle était de récurer le pot de chambre de Satan avec leur langue ne connaissaient pas pire puanteur.

 

Dès son arrivée, Mattias Tannhauser, preux chevalier, sauve et recueille Grégoire, un enfant affligé et maltraité par son maître, et il en fait son servant : il le soigne, le nourrit, l'habille.

Entrons dans les tavernes d'étudiants. Dans la quatrième, Le Bœuf Rouge, Tannhauser prit une table près de la porte. Il commanda du vin, une tourte froide à l'oie et deux jeunes poules rôties. […] La tourte était grasse, moelleuse et délicieuse.

(on pourrait suivre un fil de lecture Nourritures terrestres)

Tim Willocks, Les Douze enfants de Paris – le pot de chambre de Satan

Saint Bartthélemy, icône, église Saint-Michel-Archange, Bakou

 

Le 23 août est la veille de la Saint-Barthélemy, la fête de saint Barthélemy l'apôtre.

En ce temps-là, les grands et les puissants demeuraient comme subjugués par leur propre suffisance ; leurs plus abjectes émotions faisaient tourner les roues de l'Histoire. (en 2015, le monde a bien changé)

 

A la Grande Halle, dans le Palais de justice, Mattias trouve une robe de baptême finement brodée, Carla allait l'adorer.

Il retrouve une ancienne connaissance, Guzman, un mercenaire espagnol, désormais au service d'Albert de Gondi, le comte de Retz : il assure sa garde rapprochée. Retz, Guzman et Tannhauser se rendent au Louvre – toujours pour Carla. En chemin, Tannhauser évoque ses pensées sur les guerres de religion : elles sont dues aux ambitions politiques et économiques des puissants et non à des différends à propos de la lecture des textes. (en 2015, le monde a bien changé)

C'est une guerre entre croyants qui ne comprennent pas ce en quoi ils croient. C'est une question de pouvoir, pas de religion.

Au Louvre, sous les ors et les stucs, un étalage de la décadence, des femmes de haute lignée dévoilant leurs seins pour des gentilshommes alanguis par la débauche. Le tout dans une odeur d'urine persistante.

Tim Willocks, Les Douze enfants de Paris – le pot de chambre de Satan

François Dubois, Le Massacre de la Saint-Barthélemy, vers 1572-1584, huile sur bois de noyer, 93,5 x 154,1 cm – © Musée cantonal des Beaux-Arts de Lausanne

(cliquer ICI pour mieux lire l'image)

 

Le massacre commence au son du tocsin. Ça saigne, ça s'étripaille, ça meurt beaucoup, et ça émascule à cœur joie. Les pillards sont à la fête pendant les tueries.

 

On embroche... et cela nous donne de l'appétit : entrons dans une gargote. Une tourte à la viande froide composée de porc émincé, d'étourneaux et de morceaux de lapin, […] un plateau de tartelettes au fromage, un chargement d’œufs farcis, un blanc-manger de riz au poulet et un potage de tripes de bœuf séchées […]. Des pichets de vin […]. […] une tournée de petites tartes aux figues dégoulinantes de miel accompagnées d'une assiette d'écorces d'orenges confites avec un pichet de lait de vache.

(on pourrait suivre un fil de lecture Nourritures terrestres)

 

L'enfant de Carla et de Mattias est né, c'est une fille, Amparo. Ils échappent à Paris. Maintenant, une longue route les attendait pour rentrer chez eux.

 

La folle journée est riche en péripéties, comme dans les grands romans d'aventures du XIXe siècle, ou les chansons de geste.

 

(en 2015, le monde n'a pas changé ; on a seulement inventé les stations d'épuration – attention, risque de polysémie)

 

Avant d'entamer le pavé de 936 pages, veillez à vos provisions.

(on pourrait suivre un fil de lecture Nourritures terrestres)

 

Árni Thórarinsson, L'ombre des chats – on est tellement démuni face aux faux-semblants

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Árni Thórarinsson, L'ombre des chats – on est tellement démuni face aux faux-semblants

Árni Thórarinsson, L'ombre des chats (Ár kattarins, Árni Thórarinsson, Forlagid, 2012), traduit de l'islandais par Éric Boury, Éditions Métailié, 2014

 

Qu’est-ce qui se cache derrière le “suicide assisté par ordinateur” soigneusement scénarisé de la jeune femme dont le récent mariage avait été transformé en cauchemar par une farce de très mauvais goût ? Qui envoie sur le téléphone d’Einar des messages obscènes à l’orthographe défaillante ? Qui a attaqué, devant une boîte de nuit, le cadre dynamique et misogyne qui terrorisait sa famille, et l’a expédié à l’hôpital dans un coma profond ? Quelles manipulations politiques viennent troubler la bataille pour le destin du Journal du soir, le grand quotidien islandais ? Quel jeu mène son directeur ?

Enquêteur nonchalant et lucide, Einar tente de résoudre ces énigmes malgré l’hostilité du commissaire de police local. Pour cet amateur de rock qui regarde les changements du monde avec une distance désabusée, les choses ne sont pas toutes ce qu’elles semblent être. Et le bonheur est peut-être fugitif comme l’ombre des chats. Árni Thórarinsson a un point de vue caustique et lucide sur la société mondialisée. Il construit ici une critique sociale féroce et pose des questions gênantes dans un thriller bien ficelé et plein d’ironie.

4e de couverture

Árni Thórarinsson, L'ombre des chats – on est tellement démuni face aux faux-semblants

Árni Þórarinsson starfaði árum saman sem blaða- og fjölmiðlamaður, var m.a. ritstjóri Mannlífs og blaðamaður á Morgunblaðinu.

Fyrsta skáldsaga Árna, spennusagan Nóttin hefur þúsund augu, kom út árið 1998 og síðan hefur hann sent frá sér fleiri bækur um blaðamanninn Einar, auk annarra sagna. Hann á einn kafla í bókinni Leyndardómar Reykjavíkur 2000, sem nokkrir glæpasagnahöfundar skrifuðu í sameiningu og árið 2002 kom út bókin Í upphafi var morðið sem Árni skrifaði ásamt Páli Kristni Pálssyni. Þeir hafa einnig unnið saman tvö sjónvarpshandrit, Dagurinn í gær, sem sýnt var í RÚV 1999 í leikstjórn Hilmars Oddssonar og 20/20, sem Óskar Jónasson leikstýrði fyrir RÚV 2002. Síðarnefnda myndin var tilnefnd til fjögurra Edduverðlauna, meðal annars fyrir besta handrit. Þá hefur Árni sent frá sér viðtalsbók og þýðingu á barnabók eftir Evert Hartman, en fyrir þá þýðingu hlaut hann Barnabókaverðlaun Reykjavíkurborgar 1984. Spennusögur Árna hafa komið út í þýðingum, meðal annars á Norðurlöndunum, í Þýskalandi og Frakkland.

 

Árni Thórarinsson (Árni Þórarinsson, en islandais) est né en 1950 à Reykjavik. Après un diplôme de littérature comparée à l'université d'East Anglia à Norwich en Angleterre, Árni Thórarinsson devient journaliste. Il exerce dans différents grands journaux islandais. Il participe également à des jurys de festivals internationaux de cinéma et a été organisateur du Festival de cinéma de Reykjavík de 1989 à 1991. Ses romans sont traduits dans les pays nordiques, en Allemagne et en France.

 

Un samedi après-midi en mars

 

« Tu es nue ? »

Trois mots et deux fautes d'orthographe, adressés au mauvais numéro. En tout cas, je suppose.

 

Einar est journaliste. Il est invité à un mariage, il peut venir accompagné, il a pensé à Gunnhildur, sa vieille amie nonagénaire pour cavalière.

 

J'espère bien qu'on va nous offrir un petit verre de schnaps, dit la vieille dame.

 

Les coupes de champagne virevoltent dans la longue salle blanche décorée de fleurs et de ballons.

[…]

Joa nous rejoint, suivie par Heida.

 

Joa est lesbienne, photographe et musclée. Heida, sa petite amie, est la féminité incarnée.

 

Un mariage, deux mariées : Kristin et Saga. Le pasteur luthérien n'est pas regardant.

 

Adalheidur Heimisdottir, directrice de la rédaction au Courrier d'Akureyri, précise Heida avec un sourire, l'air un peu solennel.

Gunnhildur Bjargmundsdottir, vieille bique en maison de retraite, répond ma cavalière qui, rivée sur sa chaise, toise mes deux copines.

 

Sur la table installée contre le mur juste à côté de l'entrée sont entassés les cadeaux que les invités ont offerts aux mariées.

 

Dans un paquet, un petit bocal où nage, à première vue, un cornichon.

 

Dans le liquide baigne un pénis sectionné et tout recroquevillé.

 

Samedi soir

 

Mon Dieu ! Mon Dieu ! Mon Dieu ! Murmure Kristin...

 

Kristin et Saga s'avancent à travers la foule qui leur fait une haie d'honneur. Au son d'une chanson de Judy Garland qui parle du pays de l'arc-en-ciel. Toutes deux dansent joue contre joue, à l'ancienne.

 

Pete Townshend, Substitute, The Who, 1966

 

You think we look pretty good together

You think my shoes are made of leather

 

But I'm a substitute for another guy

I look pretty tall but my heels are high

The simple things you see are all complicated

I look pretty young, but I'm just back-dated, yeah

 

Substitute your lies for fact

 

Le coupable ! demandez-vous. Non, pour une fois, ce n'est pas le majordome. Son nom n'a pas été donné dans la présente page. Il s'est fait connaître jadis comme un militant de l'euthanasie (un militant déçu, c'était autrefois, hélas pour lui !). En fait, un esthète de l'image et de la mise en scène – c'est ce qui le trahit.

 

Encore une œuvre parlant du semblant et du faux-semblant, où mensonge et vérité se cherchent.

Un récit tissé de fausses pistes, dans une langue comme si de rien n'était. Et une vision (une représentation ?) cruelle du monde et de l'Islande.

 

L'ombre des chats est un excellent roman. Des pas perdus le dit et nous soutenons, dans sa lutte, le socialiste de la vieille école :

« Je suis un socialiste de la vieille école, j'ai travaillé comme un esclave toute ma vie, mais je suis sûr que si on nettoyait toute la merde que les capitalistes ont foutue et qu'on redistribuait toutes les cartes, les gens vivraient mieux. Au lieu de ça, les riches se voient offrir un nouveau départ avec un bel avantage. »

C'est une citation tirée du roman par Des pas perdus, son aveu personnel ?

 

Arnaldur Indriðason, La Rivière noire

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Arnaldur Indriðason, La Rivière noire

Arnaldur Indriðason, La Rivière noire (Myrká, Arnaldur Indriðason, Forlagid, 2008), traduit de l'islandais par Éric Boury, Éditions Métailié, 2011

Arnaldur Indriðason, La Rivière noire

Arnaldur Indriðason, photo : Daniel Mordzinski

 

Le sang a séché sur le parquet, le tapis est maculé. Égorgé, Runolfur porte le t-shirt de la femme qu’il a probablement droguée et violée avant de mourir. Sa dernière victime serait-elle son assassin ? Pas de lutte, pas d’arme. Seul un châle parfumé aux épices gît sur le lit. L’inspectrice Elinborg enquête sur cet employé modèle qui fréquentait salles de sport et bars... pour leur clientèle féminine.

Né en 1961 en Islande, Arnaldur Indriðason est journaliste et critique de cinéma. Ses romans sont publiés dans plus de 30 pays.

4e de couverture

 

Résumé

 

Dans un appartement à proximité du centre-ville, un jeune homme gît, mort, dans un bain de sang. Pas le moindre signe d’effraction ou de lutte, aucune arme du crime, rien que cette entaille en travers de la gorge de la victime, entaille que le légiste qualifie de douce, presque féminine. Dans la poche de sa veste, des cachets de Rohypnol, la drogue du viol... Il semblerait que Runolfur ait agressé une femme et que celle-ci se soit ensuite vengée. Un châle pourpre trouvé sous le lit dégage un parfum puissant et inhabituel d’épices, qui va mettre Elinborg, l’adjointe d’Erlendur et cuisinière émérite, sur la piste d’une jeune femme. Mais celle-ci ne se souvient de rien, et bien qu’elle soit persuadée d’avoir commis ce meurtre rien ne permet vraiment de le prouver. Des indices orientent les inspecteurs vers d’autres sévices soigneusement tenus secrets. En l’absence du commissaire Erlendur, parti en vacances, toute l’équipe va s’employer à comprendre le fonctionnement de la violence sexuelle, de la souffrance devant des injustices qui ne seront jamais entièrement réparées, et découvrir la rivière noire qui coule au fond de chacun.

Éditions Métailié

 

Incipit

 

Il enfila un jeans noir, une chemise blanche et une veste confortable, mit ses chaussures les plus élégantes, achetées trois ans plus tôt, et réfléchit aux lieux de distraction que l’une de ces femmes avait évoqués.

[…]

Le plus important c’était de se fondre dans la foule, il ne fallait pas que quelqu’un s’interroge ou s’étonne, il devait n’être qu’un client anonyme. Aucun détail de son apparence ne devait le rendre mémorable ; il voulait éviter de se distinguer des autres.

[…]

Il s’efforçait de rester discret. Il tapota une fois encore la poche de sa veste afin de vérifier que le produit était bien là. Il l’avait plusieurs fois tâté tandis qu’il marchait et s’était dit qu’il se comportait comme ces cinglés qui se demandent perpétuellement s’ils ont bien fermé leur porte, n’ont pas oublié leurs clefs, sont certains d’avoir éteint la cafetière ou encore n’ont pas laissé la plaque électrique allumée dans la cuisine. Il était en proie à cette obsession dont il se souvenait avoir lu la description dans un magazine féminin à la mode. Le même journal contenait un article sur un autre trouble compulsif dont il souffrait : il se lavait les mains vingt fois par jour.

[…]

Dans le troisième bar, il aperçut une jeune femme qu’il connaissait de vue. Il se dit qu’elle devait être âgée d’une trentaine d’années ; elle avait l’air seule.

[…]

C’était une brune au visage plutôt fin, même si elle était un peu ronde ; ses épaules étaient recouvertes d’un joli châle, elle portait une jupe qui l’habillait avec goût ainsi qu’un t-shirt de couleur claire sur lequel on lisait l’inscription “San Francisco” : une minuscule fleur dépassait du F.

[…]

Personne ne leur prêtait une attention particulière dans le bar et ce ne fut pas non plus le cas quand ils en sortirent, une bonne heure plus tard, pour aller chez lui, en empruntant des rues peu fréquentées. […] Tout se passait pour le mieux entre eux, il savait qu’elle ne lui poserait aucun problème.

Arnaldur Indriðason, La Rivière noire

Vous connaissez le Rohypnol. Quelques cocktails pour emballer, un cachet dans la potion, et le viol est là, simple et tranquille. Sauf quand une lame, surgie on ne sait d'où vous lacère.

 

Maintenant, nous allons tout dire, mais... pour ne pas gâcher le plaisir des lecteurs enquêteurs, la fin de l'histoire est invisible – sauf en surlignant ce qui suit.

 

Au terme de son enquête, Elinborg trouve Valdimar, l'homme au rasoir : naguère, Addy, sa demi-sœur, alors encore une fillette, a été droguée et violée par Runolfur. Nina, la dernière victime du pervers, trouvée dans le troisième bar, lui a donné la chance d'assouvir sa vengeance longuement préméditée.

 

Vous ne regrettez pas votre geste ? lui demanda-t-elle.

Runolfur a eu ce qu'il méritait, observa-t-il.

Vous vous êtes posé à la fois en juge et en bourreau.

Lui aussi, il était en même temps juge et bourreau dans le procès de ma sœur, répondit-il immédiatement. Je ne vois aucune différence entre ce que je lui ai fait et ce qu'il a fait à Addy. J'avais simplement peur de me dégonfler. Je pensais que ce serait plus difficile et que je n'arriverais pas à aller jusqu'au bout. Je m'attendais à plus de résistance de sa part, mais Runolfur n'était qu'un pauvre type, un lâche. Je suppose que les hommes de son genre sont tous comme lui.

Il existe d'autres moyens d'obtenir que justice soit faite.

Lesquels ? Addy avait raison. Les individus de ce genre sont condamnés à deux ou trois ans de taule. Si tant est qu'ils soient traduits en justice. Addy... m'a avoué qu'il aurait tout aussi bien pu [Idem] tuer et qu'à ses yeux, cela ne faisait aucune différence. Je n'ai pas l'impression d'avoir commis un crime si affreux. En fin de compte, les choses se retrouvent entre vos mains et vous devez bien agir pour apaiser votre conscience. Aurait-il mieux valu que je reste les bras croisés et que je le laisse continuer à sévir ? Je me suis débattu avec cette question jusqu'à ne plus pouvoir le supporter. Que peut-on faire quand le système est de mèche avec les salauds ?

[…]

Je ne regrette pas ce que j'ai fait. Je ne le regretterai jamais, déclara Valdimar.

Venez, nous devons en finir.

 

L'enquête se déroule lentement, comme au détour de la vie familiale d'Elinborg, un chéri, des enfants... On apprend beaucoup de la vie quotidienne en Islande.

 

Krummi svaf í klettagjá, traditionnel islandais, int. Klezmer Kaos

 

Yves Combeau, 08 mars 2015 – Est-ce que vous avez envie d’être un peu fous ?

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Yves Combeau, 08 mars 2015 – Est-ce que vous avez envie d’être un peu fous ?

Chapelle Notre-Dame-de-France, Malakoff

Yves Combeau, 08 mars 2015 – Est-ce que vous avez envie d’être un peu fous ?

Yves Combeau

 

Évangile (Jn 2, 13-25) suivi de l'homélie

 

Écoutez Yves Combeau.

 

Chers amis, vous devez certainement vous attendre à ce que je prononce un sermon très sérieux, et… Pas du tout !

D’abord, les sermons très sérieux sont très ennuyeux. Ensuite c’est l’Écriture elle-même qui me dit de ne pas me prendre au sérieux. Avez-vous entendu saint Paul ? Ce que nous proclamons est « folie pour les nations ». Et particulièrement pour les sages et les savants de tout poil.

 

Le message chrétien est en effet un message un peu fou. Un homme qui dit qu’il est Dieu, qui meurt et qui ressuscite, n’est-ce pas, c’est un peu fou. L’amour, la douceur, la paix, qui sont vainqueurs de la violence et de la guerre, c’est un peu fou. L’hostie qui va devenir, tout à l’heure, le corps du Christ, ce n’est vraiment pas raisonnable.

Puisque vous allez vous engager, vous, les responsables de la pastorale à Notre-Dame-de-France, autant que vous soyez bien prévenus : la décision que vous prenez est une décision folle. La décision raisonnable, ce serait d’enseigner une petite morale bien consensuelle, dont tout le monde est déjà convaincu d’avance. Mais vous, vous allez annoncer le Christ ressuscité. Vous allez annoncer à ces enfants, là, devant moi, que l’amour passe avant toute autre valeur ; que Dieu les connaît et les aime chacun parce que c’est lui qui les a faits ; qu’avec Dieu ce qui est impossible devient possible, qu’avec Dieu notre vie est faite d’espoir et de joie, et l’espoir et la joie, dans le monde dans lequel nous vivons, c’est vraiment de la folie !

 

Yves Combeau, porte la joie en lui, et il est contagieux.

 

Alors oui, nul doute là-dessus, aux yeux du monde, nous, les chrétiens, passons pour des fous. C’est même un signe rassurant.

Dans un instant nous allons proclamer notre foi, nous allons redire notre Credo. Ce Credo rempli de folies qui heurtent la raison et font rire les sages. La Vierge enceinte et Jésus qui revient à la vie, la prière qui porte des fruits et l’amour qui triomphe du mal, tout cela nous allons le proclamer.

Est-ce que vous avez envie d’être un peu fous ? En tout cas, je vous le souhaite. Parce que ce monde raisonneur est une prison et que la folie de la foi est la seule véritable liberté. Amen.

 


Mozart, The 6 string quartets dedicated to Haydn, Quatuor Cambini-Paris

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Mozart, The 6 string quartets dedicated to Haydn, Quatuor Cambini-Paris

Mozart, The 6 string quartets dedicated to Haydn, 1782-1785, Quatuor Cambini-Paris, Coffret de 3 CD, Ambroisie Naïve, 2015

Mozart, The 6 string quartets dedicated to Haydn, Quatuor Cambini-Paris

Fondé par quatre jeunes musiciens issus des meilleures formations baroques et classiques françaises, le Quatuor Cambini-Paris est l'un des rares quatuors à cordes à jouer sur instruments d'époque.

Passionnés par la redécouverte de compositeurs français injustement oubliés, les Cambini sont également très appréciés pour leur interprétation des grandes œuvres du répertoire.

Leurs enregistrements discographiques ont été salués par la critique (Diapason d'or, ffff Télérama, 4 étoiles Classica), et ils se produisent dans les plus grandes salles et festivals d'Europe.

 

Julien Chauvin : violon

Karine Crocquenoy : violon

Pierre-Éric Nimylowycz : alto

Atsushi Sakaï : violoncelle

 

Haydn, Quatuor Op. 74 n° 3, 4e mouvement, Allegro con brio, Quatuor à cordes Alérion – Hortense Maldant-Savary, violon ; Anne-Laure Martin, Benjamin Boura, alto ; Pierre Foucade, violoncelle

 

C'est tellement beau qu'on croirait du Mozart.

 

Maintenance – mise à jour le 13 mars 2015 à 11 h 39

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Aujourd'hui, 13 mars 2015, fête de sainte Catherine de Sienne, le troisième jour de foutage de gueule de la bande à OB se poursuit dans l'indifférence soyeuse de Neuilly.

Devons-nous suspendre nos publications au crochet du boucher qu'on nomme eSSe en français ?

Visiteurs, visiteures (on se met à l'heure), pardonnez-leur, ils savent ce qu'ils font !

 

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Maintenance – mise à jour le 13 mars 2015 à 11 h 39

Maintenance actuellement en cours sur les commentaires. Merci de votre compréhension.

 

Aujourd'hui, 12 mars 2015, deuxième jour de grève des commentaires sur Overblog.

 

Au temps moyenâgeux (c'est-à-dire il y a un an) de l'Ancien Overblog, tout marchait bien, il n'y a jamais eu de panne de commentaires – lorsqu'une punaise venait se loger dans la machine, elle en était retirée dans l'heure. Le service marchait tout seul. Il convenait tout juste de remplacer un serveur de temps en temps.

 

Le staff, comme il se nomme en français chic, était menacé d'un CDI (Chômage à Durée Indéterminée).

 

C'est alors que le Premier Staffien, s'inspirant de la méthode indémodable du sorcier Shadok, déjà reprise par les ingénieurs d'IKEA, eut une idée de génie : et si on foutait le bordel en se foutant de la gueule des clients ?

 

Ainsi naquit le Nouvel Overblog.

 

D'abord on supprimait tout ce qui était utile. L'utile est futile. Ensuite, on veillait à mettre la machine en panne de manière subtile. Ça pouvait demander trois jours, un mois, un an à réparer. L'emploi était sauvé !

 

Les commentaires sont donc en panne. Ils sont reconnus comme enregistrés, validés, mais ils ne s'affichent plus.

 

En prime (ils ont une prime pour chaque bêtise), nous sommes désormais dotés d'un code CAPTCHA, bien emmerdant (c'est étudié pour) : nous prions nos lecteurs de bien vouloir les en excuser.

 

On peut encore publier des articles. Jusqu'à quand ?

Maintenance – mise à jour le 13 mars 2015 à 11 h 39

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17 h 35

Maintenance – mise à jour le 13 mars 2015 à 11 h 39

Le staff d'Overblog, réuni en assemblée générale, vient de voter à l'unanimité et à verre levé la reconduction de la grève des commentaires.

Rappelons leur première revendication : une machine à caviar et champagne à discrétion - sans caméra (pour la discrétion).

 

>>> La photo est authentiquement une photo du staff fêtant le Nouvel Overblog <<<

 

Si la grève se prolonge, je reporterai les commentaires et mes réponses dans l'article 'Maintenance'. Vous pouvez donc continuer à commenter. A leur santé ! (si l'on peut dire à ce niveau-là)

 

Sebastiano Vassalli, La Source étrusque – C'est l'homme aux mille tours, Muse, qu'il me faut dire

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Sebastiano Vassalli, La Source étrusque – C'est l'homme aux mille tours, Muse, qu'il me faut dire

Sebastiano Vassalli, La Source étrusque (Un infinito numero – Virgilio e Mecenate nel paese dei Rasna, Giulio Einaudi, 1999), traduit de l'italien par Jérôme Nicolas, Phébus, 2005

Sebastiano Vassalli, La Source étrusque – C'est l'homme aux mille tours, Muse, qu'il me faut dire

L’auteur se fait aborder un jour, dans les parages de l’aéroport de Milan, par un étrange personnage qui se présente comme un fantôme venu tout droit de l’Antiquité : celui du dénommé Timodème, esclave affranchi qui fut le dernier secrétaire de Virgile. Ce Timodème ne demande qu’une chose : qu’on le laisse enfin parler, et raconter les véritables circonstances qui ont poussé son maître à rédiger L'Énéide, l’immense poème des origines de Rome – et à mentir de bout en bout en pleine connaissance de cause.

Et nous suivons Virgile au long d’un « voyage en Italie » à l’époque d’Auguste, escorté par son secrétaire et par l’influent Mécène (ce dernier était d’origine étrusque), tous trois partis se documenter sur les sources de l’Histoire... Au fil de mille tribulations picaresques en maints lieux profanes et sacrés, le poète va découvrir que l’arrivée du « fondateur » Énée et des siens dans l’Italie des origines, loin d’apporter ce qui deviendra la paix romaine, n’aura entraîné qu’une suite de carnages, les nouveaux venus n’ayant de cesse qu’ils n’aient « purgé » la péninsule de toutes les cultures concurrentes au premier rang desquelles l’étrusque, dont Virgile découvre dans l’étonnement les mystères sacrés...

Comment pourra-t-il désormais composer sans mentir cette Énéide que lui commande Auguste et dont le succès auquel elle est promise enterrera pour jamais l’histoire honteuse mais vraie qui est à la source de ce qu’on appelle la civilisation ?

 

Sebastiano Vassalli, couronné en 1990 (pour La Chimère) par le prestigieux prix Strega un équivalent du Goncourt en Italie , est en train de s’imposer au premier rang des romanciers de son pays. Sur la quinzaine de fictions qu’il a publiées, trois ont été traduites en français : chez P. O. L., Tout l’or du monde (1990) et La Chimère (1993) ; chez Fayard, Le Cygne (1996). Ses romans, volontiers inscrits dans l’Histoire mais où les ingrédients du « roman historique » apparaissent comme subtilement dévoyés , l’ont fait comparer à Marguerite Yourcenar.

4e de couverture

 

Fils d'une prostituée, Timodème est vendu par sa mère, à l'âge de cinq ans, à un marchand d'esclaves. Il est formé par ce dernier au métier de grammaticus (Il parle deux langues et il sait compter). Vers ses dix-huit ans, il est remis en vente sur le marché de Naples. Mille drachmes ! Quatre mille sesterces ! Il est acheté par Virgile.

Son histoire est un roman initiatique. Au commencement, la bibliothèque.

 

Je n'avais jamais vu de bibliothèque. Quand Virgile me fit entrer dans une pièce de sa maison dont les quatre murs, du sol au plafond, alignaient des étagères de bois comme l'eût fait une échoppe de boulanger, à ceci près qu'en guise de miches de pain on y trouvait des rouleaux de papyrus rangés en bon ordre, – Grecs d'un côté, Latins de l'autre, et poètes entre les deux rayons –, je me sentis profondément ému, comme si l'on m'avait présenté aux auteurs de tous ces ouvrages.

[…]

Pendant mes loisirs, si j'en avais envie, je pourrais m'adonner à la lecture, en choisissant parmi les volumes qui m'entouraient ceux que je trouvais les plus intéressants. Je devais seulement respecter les trois règles fondamentales de toute bibliothèque : la première, me dit Virgile, c'est que les textes ne pouvaient pas sortir de la pièce où ils étaient conservés, jamais ni sous aucun prétexte ; la deuxième, c'est qu'on ne pouvait pas écrire dessus, ni les déchirer, ni les salir ; la troisième, c'est qu'après avoir lu un ouvrage, il fallait le remettre à sa place, sur son étagère et à son emplacement spécifique.

Ici, nous nous servons rarement du fouet, me dit mon nouveau maître en guise d'avertissement. Mais si un de ces volumes devait être perdu ou abîmé, nous n'hésiterions pas à y recourir.

 

Le soir même, je commençai à lire le poème d'Homère intitulé l'Odyssée. Ce furent les premiers vers de cette œuvre, dont je me souviens encore par cœur (« C'est l'homme aux mille tours, Muse, qu'il me faut dire, Celui qui tant erra quand, de Troade, il eut pillé la ville sainte, Celui qui visita les cités de tant d'hommes et connut leur esprit », etc.), qui m'introduisirent dans ce monde merveilleux et pour moi inconnu : celui de la lecture ! Je me jetai dans cette activité avec l'ardeur qu'on voit généralement les hommes mettre dans d'autres plaisirs, tels que courir le guilledou ou fréquenter les tripots ; et je continuai pendant quatre ans, sans interruption, sans autres pauses que le repos et le temps que je devais consacrer au service de mon maître. J'appris toutes, ou presque toutes, les choses les plus importantes qui avaient été pensées et écrites avant ma naissance ; je m'habituai à regarder le monde avec cent yeux plutôt qu'avec les deux miens seulement, et à sentir dans ma tête cent pensées diverses plutôt que la seule mienne. Je pris conscience de moi-même et des autres. Sans la lecture, les hommes ne connaissent qu'une toute petite partie des choses qu'ils pourraient connaître. Ils croient être heureux parce qu'ils foutent, se remplissent la panse de nourriture et de vin, et adoucissent leur vie avec des plaisirs absolument identiques pour tout le monde ; mais la lecture leur donnerait cent, leur donnerait mille vies, et une sagesse et un pouvoir sur les choses du monde qui n'appartiennent qu'aux dieux. Moi, en tout cas, j'en suis convaincu. Et je ne regrette pas une seule journée ni une seule heure des mes années de jeunesse passées dans la bibliothèque de Virgile à converser avec les grands auteurs des époques passées : ces gens s'entretenaient avec moi et me répondaient aimablement, moi qui n'était jamais qu'un esclave...

A la fin, il ne me resta plus un seul texte à lire. Quand je m'adressai à mon maître pour lui demander l'autorisation de fréquenter une bibliothèque publique, il me regarda longuement sans rien dire, puis il m'annonça que le lendemain nous nous présenterions devant le magistrat et qu'il ferait inscrire mon nom dans le registre des affranchis. Je me souviens encore de ses paroles :

Toi, Timodème, me dit Virgile en cette circonstance, voilà longtemps déjà que tu es un homme libre, car ton intelligence et ta culture t'ont rendu tel ; mais il se pourrait que les personnes superficielles, ou bien celles qui ne te connaissent pas aussi bien que moi, ne s'en soient pas aperçues. Il faut que tout le monde sache que ta condition a changé.

 

La guerre civile avait une face paisible, les murs des villes se couvrant d'inscriptions : un champ de bataille où s'affrontaient Octave César et son rival Marc Antoine. On pouvait lire que le boulanger d'Aricia – entendez Octave – était devenu l'héritier du grand Jules César grâce à ses talents de cinaedus (« homosexuel passif »). On voyait des caricatures d'Antoine, le chien de Cléopâtre, ou Antoine le baudet, chevauché par une reine.

La bataille d'Actium * consacra le triomphe d'Octave, et les inscriptions de la propagande pâlissaient, tandis que revenait la bataille millénaire entre les mentulae et les pilosa, ainsi que les annonces sauvages : « Si tu as mal aux dents, adresse-toi à Asellius ».

Sebastiano Vassalli, La Source étrusque – C'est l'homme aux mille tours, Muse, qu'il me faut dire

Lorenzo A. Castro, La Bataille d'Actium, huile sur toile, 108,5 x 158 cm, 1672 – Musée national de la Marine, Londres

* Le 2 septembre de l'an 31 av. J.-C. pendant la guerre civile, une grande bataille navale eut lieu près d'Actium (sur la côte occidentale de la Grèce), entre les forces d'Octave et celles de Marc Antoine et Cléopâtre. La victoire d'Octave (bientôt Auguste, l'empereur, sous l'égide d'Apollon), marqua la fin de la guerre civile.

 

Rome, en ce temps-là, n'était que foules déguenillées et vulgaires, vacarme , la plèbe.

(le peuple a bien changé, de nos jours)

 

Mécène, protecteur des arts et des lettres, avait fait carrière à Rome comme conseiller politique du jeune Octave et il connaissait bien sa conduite scandaleuse. Les matrones elles-mêmes s'écriaient : « Que devrons-nous encore supporter, en cette époque sans frein et sans lois ? Qui sauvera nos institutions de la ruine, et qui leur rendra un peu de crédibilité et de décence ? »

(l'époque a bien changé, de nos jours)

 

Mécène et Virgile, avec Timodème, partent à la recherche des véritables origines de Rome, en Étrurie.

Le deuxième jour, nous descendîmes dans une auberge de Sutrium, Chez Marcellus […]. Le dîner fut aussi abondant que nous le promettait le ventre du maître de maison. Pour commencer, nous mangeâmes des olives en saumure et du thon ; puis on nous amena du jambon de sanglier coupé en très fines tranches, et ensuite les terrines pleines de tripes à la falisque, qui étaient le plat du jour et que l'on nous servit trois fois de suite, jusqu'à ce qu'il n'y en ait plus. Nous goûtâmes plusieurs vins et arrêtâmes notre choix sur un vin d'Albe jeune et un falerne de garde, tous deux excellents.

(on pourrait suivre un fil de lecture Nourritures terrestres)

Et chez Marcellus, on chante et les filles se dévoilent.

 

Après quelques jours et quelques auberges décentes, nous arrivâmes dans une auberge sordide à souhait, avec une enseigne qui n'aurait pas pu être plus trompeuse ; Benequiesco * (littéralement : « je dors bien »). Après un potage d'épeautre et un pain bis, et après quelques verres d'un vin qui avait un goût de fumée, les délices d'un vaste dortoir nous attendaient.

 

* note en bas de page

 

A partir de Sacni, l'origine étrusque et impubliable de Rome est découverte.

 

Le narrateur a-t-il rêvé ou n'est-il qu'un personnage dans un rêve de Timodème ?

 

Tchouang-tseu rêva une fois qu'il était un papillon, un papillon qui voletait et voltigeait alentour, heureux de lui-même et faisant ce qui lui plaisait. Il ne savait pas qu'il était Tchouang-tseu. Soudain, il se réveilla, et il se tenait là, un Tchouang-tseu indiscutable et massif. Mais il ne savait pas s'il était Tchouang-tseu qui avait rêvé qu'il était un papillon, ou un papillon qui rêvait qu'il était Tchouang-tseu. Entre Tchouang-tseu et un papillon, il doit bien exister une différence ! C'est ce qu'on appelle la Transformation des choses.

Tchouang-tseu, chapitre II, « Discours sur l'identité des choses », 庄周梦蝶

 

Et Virgile ?

Sebastiano Vassalli, La Source étrusque – C'est l'homme aux mille tours, Muse, qu'il me faut dire

Virgile, tenant l'Énéide, entre les Muses Clio et Melpomène, mosaïque romaine du IIIe siècle, découverte à Sousse, Tunisie, musée du Bardo, Tunis

 

Arma uirumque cano...

Sebastiano Vassalli, La Source étrusque – C'est l'homme aux mille tours, Muse, qu'il me faut dire

Virgile, Énéide, I, 704-721

 

Virgile écrira un faux. L'Histoire est écrite pour la poésie et non pour la vérité.

 

(en 2015, l'époque n'a pas changé ; on refait l'Histoire seulement en temps réel)

 

Un petit air de flûtiau...

Sebastiano Vassalli, La Source étrusque – C'est l'homme aux mille tours, Muse, qu'il me faut dire

 

Musica Romana, Symphonia Panica, XVII, Emmuty Records, 2006

 

* * *

 

* note : de nos jours, Au Lion d'or (littéralement : « Au lit on dort » même à Nogent-le-Rotrou).

Sebastiano Vassalli, La Source étrusque – C'est l'homme aux mille tours, Muse, qu'il me faut dire

Hôtel Au Lion d'or, Nogent-le-Rotrou

 

Linda Lê, Œuvres vives – la vie sans la musique est une erreur

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Linda Lê, Œuvres vives – la vie sans la musique est une erreur

Linda Lê, Œuvres vives, Christian Bourgois, 2014

Linda Lê, Œuvres vives – la vie sans la musique est une erreur

(photo : Jérôme Bonnet pour Télérama)

 

Née en 1963 au Viêt-nam, Linda Lê est arrivée en France en 1977, deux ans après la fin de la guerre, elle a pris le chemin de la littérature : Les Evangiles du crime, Calomnies, Les dits d'un idiot, Les Trois Parques, Voix, Lettre morte, Personne, Kriss/L'homme de Porlock, In memoriam, Cronos, A l'enfant que je n'aurai pas, Lame de fond.

 

« La littérature n'est pas faite pour les acquittés, elle n'est pas faite pour les élus. Elle est dans le camp des victimes et des sacrifiés, dans le camp des condamnés qui essayent, comme moi, de trouver leur salut et qui se cassent les dents. »

Linda Lê

 

Au cours d’un séjour au Havre, un jeune journaliste découvre un livre d’un mystérieux écrivain nommé Antoine Sorel. La lecture de ce roman le bouleverse, il s’interroge sur son auteur, dont il sait seulement qu’il a vécu toute sa vie dans cette ville portuaire.

Le lendemain de sa découverte, il apprend la mort, à quarante-cinq ans, de l’écrivain. Pour payer sa dette de lecteur, et parce que, pense-t-il, la mort ne doit pas avoir le dernier mot en littérature, il décide de ressusciter Antoine Sorel à travers un livre d’hommage.

En rencontrant ses proches, en faisant sienne la forme d’une ville, en enquêtant auprès des femmes que Sorel a aimées, il ne cherche peut-être pas seulement à assurer le salut de l’écrivain, mais aussi le sien.

Livre des solitudes et de la quête des origines, ce roman est d’abord celui de la ferveur et de son pouvoir de résurrection.

4e de couverture

 

Incipit

 

Le suicide d'Antoine Sorel n'avait pas fait couler des flots d'encre. Les hommages rendus à cet écrivain peu répandu, qui s'était défenestré du sixième étage de son immeuble, étaient d'une discrétion frisant l'indifférence. La plupart des journaux s'étaient contentés de reproduire la mystérieuse injonction qui figurait à la fin du faire-part inséré dans un grand quotidien. Elle était extraite d'un fameux recueil d'aphorismes dont j'imaginais que le disparu se séparait rarement : « Il ne faut pas s'astreindre à une œuvre. Il faut seulement dire quelque chose qui puisse se murmurer à l'oreille d'un ivrogne ou d'un mourant. » Moi-même, je serais passé à côté de ce qui était presque un non-événement dans le monde des lettres si, lors d'un séjour au Havre, un vendredi d'avril où je devais assister à l'adaptation d'une pièce de Beckett, Fin de partie, donnée au Volcan, la Maison de la culture du lieu (la mise en scène s'avéra d'un réalisme outrancier, avec des comédiens qui hurlaient et un décor d'une grande laideur), je n'étais tombé sur un livre d'Antoine Sorel, Naufrages. Ce n'était pas, comme on serait tenté de le croire, un roman maritime, mais le portrait d'un homme qui sombre irrémédiablement.

 

Au cours d’un séjour au Havre, un jeune journaliste découvre un livre d’un mystérieux écrivain nommé Antoine Sorel. Le lendemain de sa découverte, il apprend que l'écrivain vient de se jeter par une fenêtre de son appartement situé au sixième étage.

Les hommages rendus à l'écrivain presque inconnu sont de l'ordre de l'indifférence.

 

Le journaliste commence son enquête en vue de publier un livre en mémoire de l'oublié.

Il fait passer une petite annonce dans le journal local pour entrer en relation avec des personnes ayant connu Antoine Sorel. Il reçoit une réponse d'un certain Yves Barbet, qui avait été au collège avec Sorel et était resté un de ses amis. Barbet invite le journaliste chez lui, rue Édouard-Vaillant à Caucriauville.

Linda Lê, Œuvres vives – la vie sans la musique est une erreur

Rue Édouard-Vaillant, Caucriauville

 

Sorel […] faisait partie des francs-tireurs.

Sorel était un schopenhauerien, c'était ainsi du moins que l'avait défini un critique dans un article.

« Il n'y a point de rivages à la Mer douloureuse de la Naissance et de la Mort. »

 

Barbet n'avait pas été étonné qu'Antoine ait pris le pseudonyme de Sorel : à douze ans déjà, il avait une absolue dévotion pour Stendhal et relisait tout le temps Le Rouge et le Noir.

 

Antoine est Tran. Son grand-père, Diet Tran, s'est embarqué du Vietnam pour la France, où il fallait remplacer les ouvriers français partis à la guerre contre les Allemands. Son père, Martin Tran, s'est attaché à la France, à sa langue – on ne devait pas parler du Vietnam à la maison !

 

Il était minuit passé quand Barbet mit fin à l'entretien en me déclarant qu'il m'avait raconté tout ce qu'il savait. Il allait le samedi suivant à l'abbatiale de Montivilliers écouter la Messe en ut mineur de Mozart. Il me proposa de l'y accompagner.

 

Johann Sebastian Bach, Variations Goldberg, piano : Glenn Gould, 1955

 

« La vie sans la musique est une erreur, un calvaire, un exil », répétait-elle à tout le monde.

 

Les œuvres de Sorel seront-elles mieux entendues maintenant qu'il est mort ?

 

Oui, il me fallait servir de guide à Sorel pour qu'il fasse le voyage vers cet ailleurs dont je n'avais aucun doute que ce n'était pas le pays des morts.

 

François Chaplin, Schubert, Impromptus D 899 & D 935 – entre aplomb et vertige

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François Chaplin, Schubert, Impromptus D 899 &amp; D 935 – entre aplomb et vertige

François Chaplin, Schubert, Impromptus D 899 & D 935, Aparté, 2014

 

François Chaplin a suivi la formation de Ventislav Yankoff au Conservatoire National Supérieur de Musique de Paris, ainsi que la classe d'accompagnement et musique de chambre de Jacqueline Robin. Il a poursuivi ensuite ses études auprès de Jean-Claude Pennetier.

Parallèlement à ses concerts et enregistrements – Debussy, Chopin, Schumann, Poulenc, Carl Philipp Emanuel Bach, Mozart , il donne des master classes à Saint-Pétersbourg, à Montréal et au Japon.

 

Franz Schubert, Impromptus D 899, n°3, François Chaplin, piano, 2014

 

Franz Schubert, Impromptus D 899, n°3, Vladimir Horowitz, piano, Musikverein, Vienne, 1987

« There are three kinds of pianists : Jewish pianists, homosexual pianists, and bad pianists. »

Vladimir Horowitz

 

Les deux interprétations font entendre l'esprit fantasque et rebelle du compositeur (alors dans l'année de sa mort) : un aventurier, un errant à l'écart des formules académiques convenues, un « devineur », disait Debussy.

 

Les accents, dans l'interprétation, ne sont pas les mêmes. Chaplin oscille entre aplomb et vertige. Magnifique !

 

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